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Habitué des marges, Marc Loyon photographie l’architecture des entre-deux et le paysage des transitions : zones périphériques, artisanales, pavillonnaires, zones agricoles et paysages plus sauvages constituent la matière première de ses recherches, menées ici en immersion dans les paysages du Bocage Mayennais. En résidence depuis janvier 2020, l’artiste a effectué un patient travail de repérage et de rencontres. L’exposition présentée au centre d’art de Pontmain témoigne de cette approche exigeante : dans chacune de ses photographies, l’artiste suggère plutôt qu’il ne démontre, et prend de la distance tout en préservant un regard de proximité, qui pointe délicatement ce que les champs révèlent, ce que les lotissements racontent, lorsque soudain l’incise brutale du goudron écrit de nouvelles lignes sur la terre meuble. Des portraits puissants accompagnent cette traversée du paysage :  des habitants qui portent loin leur regard sur le territoire environnant, comme pour mieux inviter le nôtre à y faire sa place.

Dans chaque composition, on sent la rigueur presque constructiviste de l’artiste, qui cultive les tensions graphiques et les lumières impeccablement sculptées, conférant à ses images une qualité géométrique et une forme d’abstraction latente. Espaces intérieurs et extérieurs communiquent. Tout s’enlace et s’imbrique dans cette vaste série qui alterne grands wallpapers et tirages encadrés, et se risque parfois à infiltrer le réel d’accents fantastiques et de grâce mystérieuse : une sorte d’enchantement objectif, proche de celui que l’on perçoit dans l’œuvre d’Eric Tabuchi ou de Bruno Dumont.

Ainsi, au-delà d’un geste photographique plutôt froid, quasiment documentaire, marqué par l’esthétique descriptive des Becher, Marc Loyon introduit la surprise et l’étonnante étrangeté : entre un cheval caressé par une lumière surréelle et une jeune haltérophile, qui semble porter le monde comme le ferait Sisyphe, entre une ligne de végétation qui perce l’asphalte et un employé de laiterie aux allures futuristes, l’artiste met en scène la transfiguration du banal, et confronte l’échelle de l’être humain à l’échelle de site naturels ou industriels dans un scénario empreint de touches de fiction et d’humour. Autant de stratégies sensibles pour réveiller le regard que nous portons sur ces zones entre-deux, et pour signifier que la nature modifiée par l’homme n’est jamais ordinaire ; autant de manières d’affirmer la photographie comme médium pluriel, document et art tout à la fois, croisant subtilement les discours esthétique et sociologique.

Éva Prouteau

Accustomed to the margins, Marc Loyon photographs the architecture of the in-betweens and the landscape of transitions: outlying areas, artisanal areas, suburbs, agricultural areas and wilder landscapes constitute the raw material of his research, carried out here in immersion in the landscapes of the Bocage Mayennais. In residence since January 2020, the artist has carried out a patient work of identification and encounters. The exhibition presented at the Pontmain art centre bears witness to this demanding approach: in each of his photographs, the artist suggests rather than demonstrates, and takes distance while preserving a close look, delicately pointing out what the fields reveal, what the housing estates tell, when suddenly the brutal incision of the tar writes new lines on the soft earth. Powerful portraits accompany this crossing of the landscape: inhabitants who look far away at the surrounding territory, as if to better invite ours to make its place there.

In each composition, we can feel the almost constructivist rigour of the artist, who cultivates graphic tension and impeccably sculpted lights, giving his images a geometric quality and a latent form of abstraction. Interior and exterior spaces communicate. Everything is intertwined and interwoven in this vast series which alternates large wallpapers and framed prints, and sometimes risks infiltrating reality with fantastic accents and mysterious grace: a kind of objective enchantment, close to that which one perceives in the work of Eric Tabuchi or Bruno Dumont.

Thus, beyond a rather cold photographic gesture, almost documentary, marked by the descriptive aesthetic of the Becher, Marc Loyon introduces surprise and astonishing strangeness : Between a horse caressed by a surreal light and a young weightlifter, who seems to carry the world as Sisyphus would, between a line of vegetation that pierces the asphalt and a futuristic-looking dairy worker, the artist stages the transfiguration of the banal, and confronts the scale of the human being with the scale of natural or industrial sites in a scenario imbued with touches of fiction and humour. So many sensitive strategies to awaken our gaze on these in-between zones, and to signify that nature modified by man is never ordinary; so many ways to affirm photography as a plural medium, document and art at the same time, subtly crossing aesthetic and sociological discourses.

Éva Prouteau